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NOTRE JOURNAL* N°2*

 L'INHUMAIN

 SAMAH LAHBIB ET BASSAM MISSAOUI

En haut d'une falaise, au milieu d'un bois, à l'abri de tout regard, les hommes ont bâti un petit village enfoui sous l'ombre de vieux chênes. Quelques maisons aux murs moisis étaient éparpillées autour d'une cour déserte sur laquelle le peu de soleil qui éclairait le village abattait ses forts rayons d'été obligeant les villageois à se réfugier dans leurs demeures. Le silence absolu régnait...

Des nuages de poussière se firent voir et des coups de sabots réguliers, faisant allusion à des chevaux qui s'approchaient, réveillèrent soudain le village endormi. Des femmes et des enfants, des hommes et des vieux, des chiens et des chats sortirent de partout. Curieux, ils se dirigèrent vers une caravane qui apportait des vivres et des matériaux d'un pays lointain. Les voyageurs impatients de voir leurs familles descendirent, les uns mélancoliques à cause de leurs échecs, les autres ravis par leurs récoltes et une vivacité grandiose engloutit tout le village.

A la queue de la caravane, un homme - dit Brutalus- avait apporté une attraction qu'il avait achetée lors du voyage. Les villageois se regroupèrent autour d'une cage répondant aux appels de Brutalus qui riait, faisant vibrer ses couches de graisse. Au fond de la cage, une pauvre bête blottie, mouillée de sueur, affaiblie par la faim, apeurée, tremblait de frayeur et d'angoisse sous l'effet des regards perçants des "spectateurs" et des rires poussés par des petits qui demandaient ce qu'était cette créature si unique, si étonnante, si étrange.

Brutalus fier de sa découverte l'emmena attachée, au milieu de la cour, pour mieux l'exposer.

Quelques minutes après, les villageois, las et ennuyés, rejoignirent de nouveau leurs maisons laissant la pauvre chose sous le

soleil qui brûlait sa peau noire. Ses blessures causées sans doute par les coups de fouet la chatouillaient et elle devait se gratter sur le sable

chaud ne pouvant s'échapper à cause de ses membres liés. Désespérée et morte de fatigue, elle s'endormit...

Des jours monotones passèrent, et la vie de Chmounti - le surnom que les enfants lui avaient donné- devenait de plus en plus dure et insupportable : sa nouvelle "niche" était tellement bien faite qu'il fallait la remettre en place à chaque coup de vent ! De temps en temps, Brutalus venait lui rendre visite pour lui donner un os ou quelques miettes de pain. Il s'amusait à lui donner des coups de bâton : "c'est bon pour le mettre en forme," expliquait-il.

Trop humide la nuit, trop chaud le jour, le coin où Chmounti était enterrée ressemblait à une porcherie : On ne la détachait jamais même pas pour se tenir sur ses membres, même pas pour aller au petit coin ! Et on se plaignait de l'odeur infecte qu'elle dégageait. Les gosses s'amusaient à faire des paris et nommaient chef celui qui l'atteignait le premier avec son " lance-pierres ". Blessée et souffrante, Chmounti poussait des gémissements et des cris aigus, ce qui semblait plaire tellement aux petits diables. Les femmes, en passant devant la fameuse "niche", poussaient des exclamations et des expressions d’horreur et de dégoût. Les hommes discutaient et échangeaient des points de vue sur l’origine de cette bête, sur son comportement et surtout sur sa fameuse couleur noire.

Des jours passèrent, et les coups de fouet se multiplièrent. Brutalus se plaignait de la «grande somme d’argent » gaspillée pour les besoins de la misérable Chmounti qui n'intéressait plus personne. Certains pensèrent qu’il valait mieux lui rendre sa liberté, mais d’autres s’y s'ont opposés sous prétexte qu’elle pouvait être - bien qu’apparemment inoffensive - dangereuse et qu’elle pourrait se retourner contre eux.

Un matin, les villageois se réunirent dans la cour pour organiser une nouvelle caravane : on faisait des commandes, on choisissait ceux qui allaient partir. Avant qu'il s’en aille, on demanda à Brutalus, tout en rigolant, s’il allait rapporter une nouvelle Chmounti et on éclata d’un fou rire...

Excitée par cette agitation, par ce mouvement et sans doute par le désir de partir, la bête poussa un cri semblable à des mots... Le mouvement se tut, et tout le monde se tourna vers le coin obscur. On aperçut deux lueurs sur le visage de la bête qui s’était détachée. Des gouttes chaudes coulèrent des deux yeux luisants de Chmounti pleine d’espoir, l’espoir d’être enfin libre et d’une voix tremblante elle murmura quelques mots que seul Brutalus semblait comprendre, et il balbutia : « Liberté ? ? ! ! Liberté ? ? ! ! »

La bête quitta son coin sur ses pieds pour la première fois et ce n’était en fait qu'un homme de race noire ! ! ! ! ! !

Une bête ? !  Les hommes seraient-ils cruels à tel point qu'ils considéreraient un être différent physiquement comme une bête et le priveraient de la plus précieuse des valeurs humaines :  la liberté ? ? ! !

Dégoûté de ce monde et de ces inhumains, submergé par une joie incommensurable, la joie d’être libre, « l’homme fier » courut de toutes ses forces, fonça vers la barrière de bois qui entourait le bord du gouffre, la dépassa, s’arrêta devant la falaise, regarda l’étendue de terre sous ses pieds, prit enfin un souffle d’air frais. Un sourire illumina soudainement son visage de mort. Il répéta une dernière fois « LIBERTÉ ».....Et.....IL se jeta...

 

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